Avis 0018 + Suivi

Publié le 29 août 2023 à 14:17

Avant-projet de décret du…(date) modifiant diverses dispositions relatives à la politique de l’emploi en vue d’y instaurer les tests de situation

Et

Avant-projet de décret du…(date) modifiant le décret du 28 février 2019 relatif au contrôle des législations et réglementations relatives à la reconversion et au recyclage professionnels ainsi qu’à l’instauration d’amendes administratives applicables en cas d’infraction à ces législations et réglementations en vue d’y instaurer les tests de situation

 

Ces avant-projets de décret ont été examinés avec attention par le Conseil, au sein duquel différents avis ont pu être formulés.

                         La philosophie même à la base de ce texte est tout à fait louable. Les discriminations en matière d’emploi sont en effet encore trop nombreuses aujourd’hui. Une analyse parue au sein de la revue European Economic Review compilant des données récoltées dans les pays occidentaux entre 2005 et 2020 révèle ainsi que le handicap est la première cause de discrimination à l’emploi. Cette étude statue que « sur la base de ces estimations ponctuelles, les personnes handicapées ont en moyenne environ 41% de chances en moins de recevoir une réponse positive à une candidature ».[1] En Belgique, en matière d’emploi, Unia rapporte 543 dossiers de signalement de discrimination par critère du handicap entre 2017 et 2022. Le critère du handicap est le deuxième critère comportant le plus de dossiers déposés, derrière les critères dits « raciaux ».[2]

                         Ces données alarmantes prouvent que des efforts sont encore nombreux avant d’atteindre l’égalité et l’inclusion des personnes en situation de handicap.

                         L’expérience des tests de situation a été réalisée en Région de Bruxelles-Capitale depuis 2017 et au niveau fédéral depuis 2018. Quant à la Flandre, un cadre législatif n’est pas mis en place pour ces tests de situation. Cependant, plusieurs villes, dont Gand, utilisent ce principe.[3] Peu de retours sont disponibles quant à l’utilisation de ces tests au fédéral et à Bruxelles. Ainsi, les inspecteurs bruxellois ont réalisé quatre tests en 2018, deux en 2019, aucun en 2020 et deux en 2021, tandis que seuls deux tests ont été réalisés par les inspecteurs sociaux en 2019 au niveau fédéral.[4] Ces résultats peuvent s’expliquer par l’intransigeance des conditions à remplir avant de pouvoir procéder aux tests de situation. Depuis la révision de la loi du 1er avril 2022 et de l’ordonnance du 1er juin 2023, les éléments qui devaient être cumulés doivent désormais être alternatifs. Par contre, l’autorisation du procureur du Roi ou de l’auditeur du travail reste requise. Etant donné le caractère récent de ces changements, il n’existe pas de recul suffisant pour s’appuyer sur des données statistiques quant aux résultats obtenus par les inspecteurs sociaux. Le Conseil s’étonne de voir la Région wallonne vouloir suivre de manière précipitée les exemples fédéraux et bruxellois, alors que ceux-ci n’ont jusqu’à présent pas fait la preuve de leur efficacité.

                         Le Conseil éprouve des difficultés à se prononcer de manière tranchée sur ce texte. Des éléments à la fois favorables et défavorables à ces mesures ont ainsi été relevés par les membres. Tout d’abord, le Conseil tient à formuler quelques réserves.

                         Plusieurs membres ont par ailleurs manifesté se sentir inconfortables quant au principe même initié au sein de ce texte. Le test de situation consiste, pour une administration, à tromper sciemment un employeur, par des faux CV et de la simulation. Même si les fonctionnaires qui utilisent les tests de situation sont couverts d’un point de vue pénal, le Conseil reste très troublé par une méthodologie qui manque singulièrement d’honnêteté, d’éthique et de moralité. Le rôle d’une administration n’est-il pas de faire preuve d’exemplarité ? Une alternative basée sur le principe de la réception de CV anonymisés déposés pour un maximum d’entreprises ne pourrait-elle pas être envisagée ? Ceci permet en effet de se concentrer sur les compétences seules du candidat, sans devoir recourir à des procédés basés sur le « piège ».

                         Au niveau même du procédé, des effets pervers sont également pointés au sein du Conseil. Il constate que le test de situation aura un impact négatif indéniable sur l’employeur lui-même. Pour un employeur, un recrutement est toujours une procédure difficile et coûteuse. Il lui faut en effet découvrir la bonne personne pour le bon poste. Examiner des CV fictifs, recevoir des acteurs, fait perdre à l’employeur du temps et de l’argent, puisqu’il ignore évidemment qu’il n’y a derrière aucun candidat pour l’emploi à pourvoir. Le Conseil regrette que cet impact négatif sur l’employeur ne soit pas pris en considération.

                         Le Conseil constate que le test de situation pourrait empêcher un employeur d’obtenir un travailleur et un réel demandeur d’emploi d’obtenir un travail. En effet, un employeur pourrait choisir de ne retenir que les deux CV fictifs et écarter tous les CV réels, moins pertinents pour lui. Il convoquerait alors les deux acteurs à un entretien. Ces deux acteurs joueraient leur rôle ignorant qu’ils sont les seuls retenus. L’employeur effectuerait alors son choix entre les deux acteurs, pour finalement découvrir qu’il a été doublement dupé. Dans cette situation, l’employeur se retrouve toujours sans travailleur, et de réels demandeurs d’emploi ont été écartés et restent au chômage, sans aucune indemnisation ni pour l’un ni pour l’autre. Le Conseil ne peut accepter, qu’au nom de la lutte légitime contre les discriminations, on réduise à néant une offre d’emploi et les démarches de réels demandeurs d’emploi.

                         De plus, le problème de discrimination à l’embauche, et notamment la discrimination basée sur le handicap, est un problème sociétal de fond. Le Conseil reste persuadé qu’une approche basée sur la formation et la sensibilisation est plus efficace qu’un système de sanction et de contrôle. La sanction doit venir en soutien à la formation et sensibilisation.

                         Par ailleurs, le Conseil estime qu’une discrimination sur base de handicap est complexe à prouver. En effet, le handicap est pluriel, et d’autres facteurs rentrent en ligne de compte pour juger un problème de discrimination. La discrimination relative au handicap ne se limite pas à la décision de l’employeur d’employer un candidat sur base de ses seules compétences, comme c’est le cas pour les discriminations à caractères dits « raciaux ». Elle comprend également des problèmes d’accessibilité, d’aménagement du temps de travail ou de l’espace de travail, ainsi que des questions de productivité. En effet, le bâtiment de l’éventuel lieu de travail peut être inaccessible, les trajets ne sont pas toujours accessibles et adaptés et des aménagements raisonnables doivent souvent être réalisés. Les employeurs et les candidats doivent être formés et au courant des dispositions existantes en la matière, y compris en ce qui concerne le subventionnement, car de trop nombreuses méconnaissances des droits persistent aujourd’hui.

                         Il est également prévu, pour certaines entreprises spécifiques, une obligation de dénoncer les demandes discriminantes de clients. A titre d’exemple, une agence de titres -services doit dénoncer les demandes discriminantes qu’elle recevrait de la part de client potentiel.

                         L’obligation de dénonciation ne tient nullement compte du dialogue entre l’agence de titres-services et son client. Par ce dialogue, il peut en effet être possible d’amener un client à aborder la situation autrement, à tenter l’expérience de passer outre ses préjugés. L’obligation de dénonciation ne permet pas à l’agence de titres-services de jouer ce rôle pédagogique, au final au détriment des personnes discriminées.

                         D’un autre côté, d’autres membres ont émis des remarques positives à l’égard de ce texte. La loi permet à la personne en situation de handicap qui a été discriminée dans sa recherche d’emploi d’obtenir réparation. Cependant, la charge de la preuve incombe à la personne discriminée. En pratique, il lui est très difficile d’apporter cette preuve de discrimination, de sorte que, le plus souvent, soit elle renonce à obtenir réparation du préjudice qu’elle a subi, soit elle échoue à apporter la preuve de la discrimination. Le test de situation est prévu notamment en cas de plainte ou d’un signalement d’une personne se présentant comme victime de discrimination. Sans ce procédé, prouver l’acte illégal s’approche de l’impossible, tandis que ce test permet d’objectiver la situation, puisqu’il s’agit de constater une situation. De plus, des principes de non-discrimination et de la sensibilisation ne suffisent pas pour endiguer le phénomène, comme le prouvent les chiffres apportés au début de cet avis. Une sanction est parfois nécessaire pour légitimer la mesure.

                         En ce qui concerne le sentiment de « piège » qui met mal à l’aise d’autres membres du Conseil, ces membres constatent que d’autres services d’inspection et la police travaillent déjà sous de fausses identités. C’est malheureusement le prix à payer pour débusquer certains agissements qui gangrènent actuellement notre société et privent une partie non négligeable des citoyens de leurs droits les plus élémentaires : avoir un emploi, disposer d’un toit.

                         Les membres favorables au texte estiment également que l’impact du test de situation sur l’employeur est minime, puisque celui-ci, dès lors qu’il est informé du caractère fictif d’une candidature, a la possibilité de récupérer d’autres candidatures, réelles celles-là, de sorte que le test de situation ne présente pas d’inconvénient majeur pour lui.

                         La dernière mesure prévue est la prestation citoyenne. Il s’agit, en cas de discrimination avérée, de remplacer l’amende administrative en une prestation citoyenne. Celle-ci consiste en une formation ou une prestation à titre gratuit. Ainsi, un employeur discriminant pourrait devoir suivre une formation sur la discrimination ou accomplir une prestation auprès de personnes qu’il discrimine. Le Conseil approuve l’idée de cette prestation citoyenne, car elle est de nature à faire prendre conscience à un personne discriminante de l’absurdité de ses préjugés, et l’amener ainsi à se montrer à l’avenir plus inclusive. La prestation citoyenne présente donc une vertu pédagogique que soutient le Conseil.

                         Toutefois, le Conseil regrette que la prestation citoyenne ne puisse être mise en place qu’avec l’accord de la personne discriminante. Imposer une prestation citoyenne à une personne qui n’en veut pas a priori pourrait en effet aboutir à un certain résultat sur une prise de conscience et un changement d’attitude de cette personne.

 

                         En conclusion, le Conseil se montre prudent par rapport à ce texte. La question de la discrimination à l’embauche est primordiale et doit être au centre des discussions, puisque l’accès à l’emploi est un enjeu de l’inclusion des personnes en situation de handicap. Cependant, il est important de se questionner : jusqu’où faut-il aller pour dénoncer les discriminations à l’emploi ? L’intention derrière ce texte est plus que positive, mais la mise en place et les moyens utilisés rendent inconfortables. De plus, cette mesure soulève d’autres questions sous-jacentes, toutes aussi primordiales pour l’inclusion, qui sont celles de l’accessibilité et de la mobilité. Un travail de fond alliant toutes les questions complexes liées à l’accès au travail des personnes en situation de handicap est nécessaire dans l’espoir de rendre le marché du travail le plus inclusif possible, le plus vite possible.

 

 

[1] Lippens, L., Vermeiren, S. et Stijn B., The state of hiring discrimination : A meta-analysis of (almost) all recent correspondence experiments dans European Economic Review, vol. 151, January 2023, https://doi.org/10.1016/j.euroecorev.2022.104315

[2] Chiffres d’Unia, https://www.unia.be/fr/publications-et-statistiques/chiffres-dunia

[3] « Gand réalise ses premiers tests de discrimination à l’emploi et ne compte pas s’arrêter là », https://www.unia.be/fr/articles/gand-realise-ses-premiers-tests-de-discrimination-a-lemploi-et-ne-compte-pas-sarreter-la

[4] Neven, J.-F., Ringelheim, J. et van der Plancke, V., Les tests de situation et la méthode du client mystère comme outils de détection et de preuve des discriminations, Août 2022, p. 20.

 

SUIVI

 

Avant-projet de décret du…(date) modifiant diverses dispositions relatives à la politique de l’emploi en vue d’y instaurer les tests de situation

Et

Avant-projet de décret du…(date) modifiant le décret du 28 février 2019 relatif au contrôle des législations et réglementations relatives à la reconversion et au recyclage professionnels ainsi qu’à l’instauration d’amendes administratives applicables en cas d’infraction à ces législations et réglementations en vue d’y instaurer les tests de situation

 

Suivi : le premier avant-projet est devenu le décret du 29 avril 2024 modifiant diverses dispositions relatives à la politique de l'emploi en vue d'y instaurer les tests de situation (Moniteur belge 17 septembre 2024 – en vigueur le 27 septembre 2024).

La modification du décret du 6 novembre 2008 a été retirée de ce texte pour faire l’objet d’un texte séparé : le décret du 29 avril 2024 modifiant le décret du 6 novembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination en vue d'y instaurer les tests de situation (Moniteur belge 7 août 2024 – en vigueur le 17 août 2024).

Le dernier texte est devenu le décret du 29 avril 2024 modifiant le décret du 28 février 2019 relatif au contrôle des législations et réglementations relatives à la reconversion et au recyclage professionnels ainsi qu'à l'instauration d'amendes administratives applicables en cas d'infraction à ces législations et réglementations en vue d'y instaurer les tests de situation (Moniteur belge du 3 septembre 2024 – en vigueur le 13 septembre 2024)

 

                         Ces avant-projets de décret ont été examinés avec attention par le Conseil, au sein duquel différents avis ont pu être formulés.

                         La philosophie même à la base de ce texte est tout à fait louable. Les discriminations en matière d’emploi sont en effet encore trop nombreuses aujourd’hui. Une analyse parue au sein de la revue European Economic Review compilant des données récoltées dans les pays occidentaux entre 2005 et 2020 révèle ainsi que le handicap est la première cause de discrimination à l’emploi. Cette étude statue que « sur la base de ces estimations ponctuelles, les personnes handicapées ont en moyenne environ 41% de chances en moins de recevoir une réponse positive à une candidature ».[1] En Belgique, en matière d’emploi, Unia rapporte 543 dossiers de signalement de discrimination par critère du handicap entre 2017 et 2022. Le critère du handicap est le deuxième critère comportant le plus de dossiers déposés, derrière les critères dits « raciaux ».[2]

                         Ces données alarmantes prouvent que des efforts sont encore nombreux avant d’atteindre l’égalité et l’inclusion des personnes en situation de handicap.

                         L’expérience des tests de situation a été réalisée en Région de Bruxelles-Capitale depuis 2017 et au niveau fédéral depuis 2018. Quant à la Flandre, un cadre législatif n’est pas mis en place pour ces tests de situation. Cependant, plusieurs villes, dont Gand, utilisent ce principe.[3] Peu de retours sont disponibles quant à l’utilisation de ces tests au fédéral et à Bruxelles. Ainsi, les inspecteurs bruxellois ont réalisé quatre tests en 2018, deux en 2019, aucun en 2020 et deux en 2021, tandis que seuls deux tests ont été réalisés par les inspecteurs sociaux en 2019 au niveau fédéral.[4] Ces résultats peuvent s’expliquer par l’intransigeance des conditions à remplir avant de pouvoir procéder aux tests de situation. Depuis la révision de la loi du 1er avril 2022 et de l’ordonnance du 1er juin 2023, les éléments qui devaient être cumulés doivent désormais être alternatifs. Par contre, l’autorisation du procureur du Roi ou de l’auditeur du travail reste requise. Etant donné le caractère récent de ces changements, il n’existe pas de recul suffisant pour s’appuyer sur des données statistiques quant aux résultats obtenus par les inspecteurs sociaux. Le Conseil s’étonne de voir la Région wallonne vouloir suivre de manière précipitée les exemples fédéraux et bruxellois, alors que ceux-ci n’ont jusqu’à présent pas fait la preuve de leur efficacité.

                         Le Conseil éprouve des difficultés à se prononcer de manière tranchée sur ce texte. Des éléments à la fois favorables et défavorables à ces mesures ont ainsi été relevés par les membres. Tout d’abord, le Conseil tient à formuler quelques réserves.

                         Plusieurs membres ont par ailleurs manifesté se sentir inconfortables quant au principe même initié au sein de ce texte. Le test de situation consiste, pour une administration, à tromper sciemment un employeur, par des faux CV et de la simulation. Même si les fonctionnaires qui utilisent les tests de situation sont couverts d’un point de vue pénal, le Conseil reste très troublé par une méthodologie qui manque singulièrement d’honnêteté, d’éthique et de moralité. Le rôle d’une administration n’est-il pas de faire preuve d’exemplarité ? Une alternative basée sur le principe de la réception de CV anonymisés déposés pour un maximum d’entreprises ne pourrait-elle pas être envisagée ? Ceci permet en effet de se concentrer sur les compétences seules du candidat, sans devoir recourir à des procédés basés sur le « piège ».

                         Au niveau même du procédé, des effets pervers sont également pointés au sein du Conseil. Il constate que le test de situation aura un impact négatif indéniable sur l’employeur lui-même. Pour un employeur, un recrutement est toujours une procédure difficile et coûteuse. Il lui faut en effet découvrir la bonne personne pour le bon poste. Examiner des CV fictifs, recevoir des acteurs, fait perdre à l’employeur du temps et de l’argent, puisqu’il ignore évidemment qu’il n’y a derrière aucun candidat pour l’emploi à pourvoir. Le Conseil regrette que cet impact négatif sur l’employeur ne soit pas pris en considération.

                         Le Conseil constate que le test de situation pourrait empêcher un employeur d’obtenir un travailleur et un réel demandeur d’emploi d’obtenir un travail. En effet, un employeur pourrait choisir de ne retenir que les deux CV fictifs et écarter tous les CV réels, moins pertinents pour lui. Il convoquerait alors les deux acteurs à un entretien. Ces deux acteurs joueraient leur rôle ignorant qu’ils sont les seuls retenus. L’employeur effectuerait alors son choix entre les deux acteurs, pour finalement découvrir qu’il a été doublement dupé. Dans cette situation, l’employeur se retrouve toujours sans travailleur, et de réels demandeurs d’emploi ont été écartés et restent au chômage, sans aucune indemnisation ni pour l’un ni pour l’autre. Le Conseil ne peut accepter, qu’au nom de la lutte légitime contre les discriminations, on réduise à néant une offre d’emploi et les démarches de réels demandeurs d’emploi.

                         De plus, le problème de discrimination à l’embauche, et notamment la discrimination basée sur le handicap, est un problème sociétal de fond. Le Conseil reste persuadé qu’une approche basée sur la formation et la sensibilisation est plus efficace qu’un système de sanction et de contrôle. La sanction doit venir en soutien à la formation et sensibilisation.

                         Par ailleurs, le Conseil estime qu’une discrimination sur base de handicap est complexe à prouver. En effet, le handicap est pluriel, et d’autres facteurs rentrent en ligne de compte pour juger un problème de discrimination. La discrimination relative au handicap ne se limite pas à la décision de l’employeur d’employer un candidat sur base de ses seules compétences, comme c’est le cas pour les discriminations à caractères dits « raciaux ». Elle comprend également des problèmes d’accessibilité, d’aménagement du temps de travail ou de l’espace de travail, ainsi que des questions de productivité. En effet, le bâtiment de l’éventuel lieu de travail peut être inaccessible, les trajets ne sont pas toujours accessibles et adaptés et des aménagements raisonnables doivent souvent être réalisés. Les employeurs et les candidats doivent être formés et au courant des dispositions existantes en la matière, y compris en ce qui concerne le subventionnement, car de trop nombreuses méconnaissances des droits persistent aujourd’hui.

                         Il est également prévu, pour certaines entreprises spécifiques, une obligation de dénoncer les demandes discriminantes de clients. A titre d’exemple, une agence de titres -services doit dénoncer les demandes discriminantes qu’elle recevrait de la part de client potentiel.

                         L’obligation de dénonciation ne tient nullement compte du dialogue entre l’agence de titres-services et son client. Par ce dialogue, il peut en effet être possible d’amener un client à aborder la situation autrement, à tenter l’expérience de passer outre ses préjugés. L’obligation de dénonciation ne permet pas à l’agence de titres-services de jouer ce rôle pédagogique, au final au détriment des personnes discriminées.

                         D’un autre côté, d’autres membres ont émis des remarques positives à l’égard de ce texte. La loi permet à la personne en situation de handicap qui a été discriminée dans sa recherche d’emploi d’obtenir réparation. Cependant, la charge de la preuve incombe à la personne discriminée. En pratique, il lui est très difficile d’apporter cette preuve de discrimination, de sorte que, le plus souvent, soit elle renonce à obtenir réparation du préjudice qu’elle a subi, soit elle échoue à apporter la preuve de la discrimination. Le test de situation est prévu notamment en cas de plainte ou d’un signalement d’une personne se présentant comme victime de discrimination. Sans ce procédé, prouver l’acte illégal s’approche de l’impossible, tandis que ce test permet d’objectiver la situation, puisqu’il s’agit de constater une situation. De plus, des principes de non-discrimination et de la sensibilisation ne suffisent pas pour endiguer le phénomène, comme le prouvent les chiffres apportés au début de cet avis. Une sanction est parfois nécessaire pour légitimer la mesure.

                         En ce qui concerne le sentiment de « piège » qui met mal à l’aise d’autres membres du Conseil, ces membres constatent que d’autres services d’inspection et la police travaillent déjà sous de fausses identités. C’est malheureusement le prix à payer pour débusquer certains agissements qui gangrènent actuellement notre société et privent une partie non négligeable des citoyens de leurs droits les plus élémentaires : avoir un emploi, disposer d’un toit.

                         Les membres favorables au texte estiment également que l’impact du test de situation sur l’employeur est minime, puisque celui-ci, dès lors qu’il est informé du caractère fictif d’une candidature, a la possibilité de récupérer d’autres candidatures, réelles celles-là, de sorte que le test de situation ne présente pas d’inconvénient majeur pour lui.

                         La dernière mesure prévue est la prestation citoyenne. Il s’agit, en cas de discrimination avérée, de remplacer l’amende administrative en une prestation citoyenne. Celle-ci consiste en une formation ou une prestation à titre gratuit. Ainsi, un employeur discriminant pourrait devoir suivre une formation sur la discrimination ou accomplir une prestation auprès de personnes qu’il discrimine. Le Conseil approuve l’idée de cette prestation citoyenne, car elle est de nature à faire prendre conscience à un personne discriminante de l’absurdité de ses préjugés, et l’amener ainsi à se montrer à l’avenir plus inclusive. La prestation citoyenne présente donc une vertu pédagogique que soutient le Conseil.

                         Toutefois, le Conseil regrette que la prestation citoyenne ne puisse être mise en place qu’avec l’accord de la personne discriminante. Imposer une prestation citoyenne à une personne qui n’en veut pas a priori pourrait en effet aboutir à un certain résultat sur une prise de conscience et un changement d’attitude de cette personne.

 

                         En conclusion, le Conseil se montre prudent par rapport à ce texte. La question de la discrimination à l’embauche est primordiale et doit être au centre des discussions, puisque l’accès à l’emploi est un enjeu de l’inclusion des personnes en situation de handicap. Cependant, il est important de se questionner : jusqu’où faut-il aller pour dénoncer les discriminations à l’emploi ? L’intention derrière ce texte est plus que positive, mais la mise en place et les moyens utilisés rendent inconfortables. De plus, cette mesure soulève d’autres questions sous-jacentes, toutes aussi primordiales pour l’inclusion, qui sont celles de l’accessibilité et de la mobilité. Un travail de fond alliant toutes les questions complexes liées à l’accès au travail des personnes en situation de handicap est nécessaire dans l’espoir de rendre le marché du travail le plus inclusif possible, le plus vite possible.

 

Suivi dans la note au Gouvernement wallon pour la 2e lecture : la note fournit une explication point par point.

Généralités : « L’intégralité des instances consultées partage la volonté de lutter contre les discriminations à l’embauche et la grande majorité d’entre elles soutient, dès lors, l’engagement du Gouvernement wallon d’instaurer les tests de situation.

Si une majorité d’employeurs accordent la priorité aux compétences et à la motivation du candidat, il ne faut néanmoins pas nier, ni minimiser, le phénomène des discriminations à l’embauche.

Les chiffres montrent malheureusement que ce phénomène persiste. (…)

Dans son rapport annuel 2022, Unia indique que l’emploi est le troisième secteur le plus concerné par les dossiers de discriminations ouverts en Wallonie .

La lutte contre les discriminations, et en particulier contre les discriminations à l’embauche, constitue une responsabilité commune de chaque niveau de pouvoir. La Wallonie y prend pleinement sa part et participe à l’effort commun, dans le cadre de ses compétences. Les tests de situation wallons complètent le dispositif fédéral et renforcent ainsi le cadre général. Ils concourent à assurer l’effectivité des mesures anti-discriminations wallonnes qui s’appliquent déjà aux agences de placement et aux entreprises de titres-services.

Il ne s’agit évidemment pas, pour autant, de jeter l’opprobre sur les employeurs en général. L’objet de l’avant-projet du décret est de doter les administrations d’un outils complémentaires, permettant d’apporter la preuve d’une discrimination potentielle, identifiée sur une base objective. Le dispositif proposé n’autorise d’ailleurs les tests de situation que dans certaines situations limitativement énumérées : principalement en cas d’indications objectives de discrimination, de plainte ou de signalement. Il se concentre ainsi sur les cas où un risque élevé de discrimination a été identifié.

Il est évident que les tests de situation ne constituent pas la panacée dans la lutte contre les discriminations. L’élimination de ce phénomène constitue un travail de longue haleine, en vue de garantir une société de l’égalité des chances. Les tests de situation constituent un outil supplémentaire, une mesure spécifique dans le cadre d’une politique globale et intégrée qui comprend également des mesures de prévention, de sensibilisation, d’incitation, etc. (…)

L’importance de la prévention et de la sensibilisation en matière de lutte contre les discriminations se traduit également dans l’avant-projet de décret qui intègre, parmi les sanctions disponibles, la participation des actions de sensibilisation en la matière. »

Modalités de réalisation du test de situation : « Le CCWPSH est quant à lui partagé sur l’utilisation de faux CV. (…)

La reproduction de situations de candidatures ou de demandes discriminatoires de la part d’un potentiel client constitue le principe même de la mesure. À la suite des remarques, le texte est adapté pour préciser que plusieurs candidatures peuvent être envoyées.

Contrairement à ce qu’affirment les organisations patronales, il n’est pas question d’un « usage de faux » au sens de la loi pénale puisqu’il n’y a ni intention frauduleuse ni objectif d’obtenir un avantage ou un profit de quelconque nature dans le chef de l’inspection. Plus fondamentalement, il est rappelé que la méthode particulière de contrôle se justifie par l’importance d’assurer le droit constitutionnel d’égalité de traitement et de non-discrimination. »

Coût en temps : « Le CCWPSH est partagé sur cette question.

Il convient de relever que seuls les employeurs pour lesquels il y a une indication objective de discrimination, une plainte étayée ou un signalement, ou encore une suspicion raisonnable de pratiques discriminatoires sont susceptibles de faire l’objet d’un test de situation. Ces situations spécifiques nécessitent de vérifier s’il y a ou pas des discriminations, ce qui prend effectivement du temps à la partie contrôlante et à la partie contrôlée. Au regard de l’enjeu, la légère perte de temps, endurée par des employeurs ciblés sur base d’indications objectives, apparaît donc comme justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi. ».

Signalement des demandes discriminantes : « Une partie du CWPSH estime que le signalement est incompatible avec le dialogue entre l’agence de titres-services et son client. Elle estime qu’il peut être possible d’amener un client à aborder la situation autrement, à tenter l’expérience de passer outre ses préjugés. Elle estime que l’obligation de dénonciation ne permet pas à l’agence de titres-services de jouer ce rôle pédagogique, au détriment des personnes discriminées. (…)

L’implication des agences de placement, des agences d’intérim, des entreprises de titres-services et des agences locales pour l’emploi ne peut se limiter à refuser les demandes discriminatoires. Dans une telle hypothèse, même si la majorité des employeurs refuse les demandes discriminatoires, il suffirait à un utilisateur discriminant de persister en multipliant ses requêtes, jusqu’à trouver une entreprise qui s’en accommode, de sorte que la discrimination finirait par être réalisée malgré les refus précédents.

À l’inverse, le signalement constitue un moyen de mettre à jour certaines situations qui, sans cela, n’auraient jamais été détectées. Il a également l’avantage de ne pas reposer sur l’identification d’une victime spécifique.

Le signalement entraînera une mesure adaptée à la situation. Il peut s’agir d’une sensibilisation et d’information de l’utilisateur, d’un avertissement, d’une enquête visant à déterminer si l’utilisateur n’a pas commis d’autres discriminations et pouvant, le cas échéant, conduire à une sanction.

Dans le cas des titres-services, une exclusion temporaire de l’utilisateur du dispositif pourra être appliquée, constituant à la fois une mesure de sanction à l’encontre de l’utilisateur, mais surtout, une mesure préventive de protection à l’égard des travailleurs. Cette cause d’exclusion vient s’ajouter à celles déjà prévues par la législation pour les cas de fraude, de violence ou de harcèlement.

À terme, on peut également s’attendre à ce que le risque de signalement décourage les utilisateurs de formuler des demandes discriminatoires.

Dans le chef de l’entreprise, le non-respect de cette obligation n’entraîne pas, de sanction pénale mais une sanction administrative. Concernant la divulgation de données personnelles, elle entre dans le cadre de l’article 6.1, c) du RGPD et est donc licite. ».

 

Suivi au Parlement : Lors du débat en séance plénière, le député Michel de Lamotte a fait expressément référence à notre avis (extrait de son intervention) : « Ensuite, dans le cadre de ce décret, on ne peut passer sous silence les avis très mitigés des différentes instances consultées. Nous avons pu les lire. Plutôt que des solutions, il y a beaucoup de questions et d’interpellations dans leur avis. Je me permets de les regarder avec nuance, parce que les avis qui nous ont été rendus – notamment par le CWEHF, le Comité consultatif de la personne handicapée ou encore par le CESE – posent davantage de questions qu’ils n’apportent de solutions. Effectivement, il n’y a pas d’initiative dans leur avis pour proposer l’une ou l’autre solution. (…) et je cite déjà l’avis du Conseil wallon de la personne handicapée qui dit : « Le Conseil se montre prudent quant à ces mesures, soulignant la nécessité d’une réflexion approfondie sur les meilleures stratégies pour lutter contre la discrimination à l’emploi ». L’avis du Conseil wallon de la personne handicapée met aussi en lumière l’importance de rendre le marché du travail plus inclusif tout en abordant des questions complexes liées à l’accessibilité.

Cet avis soulève des points de réflexion. Une approche axée uniquement sur les sanctions est-elle suffisante pour lutter contre la discrimination à l’emploi, et notamment celle basée sur le handicap en ce qui les concerne ? Plutôt que l’obligation de dénoncer, comment promouvoir le dialogue et l’éducation comme moyens de lutte contre la discrimination ? Sur base de ces éléments, nous aurions aimé, Madame la Ministre, avoir un texte qui puisse retrouver les points de convergence et de divergence et qui soit plus en nuances. Nous aurions préféré avoir un texte qui nous permette de travailler de manière positive, proactive et dissuasive plutôt que de manière répressive. ».

La Ministre répond (extrait limité à notre avis) : « Seuls le banc patronal et une partie du Conseil wallon des personnes en situation de handicap sont critiques, alors que toutes les instances soutiennent le projet. Le Conseil d’État ne critique en rien les mesures. ».

Lors du vote au Parlement du 1er texte, le député Michel de Lamotte a justifié comme suit son abstention, reprenant certains arguments avancés dans l’avis : « Nous dénonçons la pertinence et surtout l’inefficacité de certains de ces tests. De nombreux éléments continuent à plaider aujourd’hui contre ce système – notamment l’insécurité juridique puisqu’il y a des hésitations sur le montage entourant une notion souvent floue de discrimination. De même pour le mécanisme de responsabilité partagée entre le travailleur et l’employeur lors d’un tel contrôle. Nous relevons aussi le manque d’éthique dans le principe d’usage de faux par les pouvoirs publics et l’enjeu d’une approche globale et d’un accompagnement positif des entreprises plus efficace sur le long terme. Nous sommes donc plutôt attentifs à une dimension positive d’incitation que le contraire. Il ne faut donc pas stigmatiser ; il faut inciter et encourager. ».

 

 

[1] Lippens, L., Vermeiren, S. et Stijn B., The state of hiring discrimination : A meta-analysis of (almost) all recent correspondence experiments dans European Economic Review, vol. 151, January 2023, https://doi.org/10.1016/j.euroecorev.2022.104315

[2] Chiffres d’Unia, https://www.unia.be/fr/publications-et-statistiques/chiffres-dunia

[3] « Gand réalise ses premiers tests de discrimination à l’emploi et ne compte pas s’arrêter là », https://www.unia.be/fr/articles/gand-realise-ses-premiers-tests-de-discrimination-a-lemploi-et-ne-compte-pas-sarreter-la

[4] Neven, J.-F., Ringelheim, J. et van der Plancke, V., Les tests de situation et la méthode du client mystère comme outils de détection et de preuve des discriminations, Août 2022, p. 20.