Mémorandum 2024
Mémorandum destiné aux partis politiques, rédigé par le Conseil Consultatif Wallon des Personnes en Situation de Handicap, en vue des élections du 9 juin 2024
Avant-propos
Le Conseil Consultatif Wallon des Personnes en Situation de Handicap (CCWPSH) a participé à la rédaction d’un avis commun sur la Stratégie interfédéral pour les personnes en situation de handicap 2021-2030. Cet avis a été consolidé par la Plateforme des Conseils consultatifs et a été sollicité à la demande de Mme Karine Lalieux, Ministres des Pensions et de l’Intégration sociale, chargée du Handicap, de la pauvreté et de Beliris, au nom de la CIM Bien-Être, Sport, Familles et Handicap le 2 décembre 2022.
Plusieurs conseils consultatifs ont donc collaboré pour la rédaction de cet avis : le Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées (CNSPH), le Conseil Consultatif Wallon des Personnes en Situation de Handicap (CCWPSH), Vlaamse adviesraad voor & door personen met een handicap (NOOZO), le Conseil consultatif bruxellois francophone de l’aide aux personnes et de la santé Section personnes handicapées, le Comité de Branche Handicap de l’AVIQ et le Conseil Bruxellois des Personnes en Situation de Handicap (CPH).
Pour ce mémorandum, le CCWPSH va reprendre les points essentiels qu’il a transmis lors de la remise de cet avis, car ceux-ci reprennent les revendications globales de ses membres. Le Conseil espère ainsi attirer l’attention des politiques sur les points à améliorer afin de permettre une meilleure reconnaissance des besoins des personnes en situation de handicap.
De plus, le Conseil insiste sur la nécessité d’une collaboration optimale entre le fédéral et les entités fédérées. Ce sont en effet aux institutions à s’adapter, et non pas aux usagers, pour que leur parcours de vie et de soins se déroule de la manière la plus souple possible.
Définition du handicap
Le Conseil souhaite insister sur l’élaboration et l’harmonisation de la définition de handicap aux différents niveaux de politiques, telle que définie au sein de la Convention des Nations-Unies sur les droits des personnes en situation de handicap. Les politiques qui utilisent le test handistreaming lors de l’élaboration de textes doivent être suffisamment sensibilisés aux différents types de handicap et aux enjeux que cela représente, afin de pouvoir solliciter l’avis des organes concernés lorsque cela s’avère nécessaire.
La prise en compte de la définition du handicap telle que reprise au sein de la Convention permet par ailleurs de prendre en compte de nombreuses personnes non identifiées comme telles aujourd’hui. Le Conseil insiste sur le terme « durable » des incapacités.
Egalité et non-discrimination
Le Conseil demande qu’une attention particulière soit accordée aux parents d’enfants (ou adultes) en situation en situation de handicap.
Le Conseil rappelle qu’il existe des discriminations, notamment lors de la mise en place des aménagements raisonnables sur le lieu de travail. Dans certains textes législatifs, des dérogations sont en effet prévues (ex : micro-entreprises, coût déraisonnable…) et sont parfois abusivement mises en avant pour ne pas mettre en places ces aménagements raisonnables. Un travail avec UNIA est ici recommandé.
Il insiste également sur le caractère discriminatoire des personnes devenues handicapées après 65 ans qui ne rentrent pas dans les conditions d’octroi des aides publiques régionales et communautaires en matière d’intervention financière dans les aides matérielles individuelles. Il demande en outre de supprimer cette limite d’âge de 65 ans pour déterminer l’aide à laquelle a droit une personne qui se retrouve en situation de handicap. Le Conseil souhaite que la législation évolue vers une harmonisation des régimes afin que chaque personne en situation de handicap puisse, à situation identique, bénéficier des mêmes aides, quel que soit son âge au moment où le handicap est apparu.
Enfin, le Conseil demande le respect du droit de s’exprimer dans sa langue (la langue des signes étant une langue reconnue en Belgique).
Femmes et enfants handicapés
Le Conseil relève plusieurs problématiques pour lesquelles des mesures sont nécessaires. Des recherches mettent en avant le fait qu’une femme handicapée sur deux a subi des violences qu’elles soient morales, physiques ou sexuelles. Peu de visibilité, de sensibilisation et de mesures concrètes sont également disponibles concernant la stérilisation forcée ou induite des femmes handicapées, ni sur les violences gynécologiques subies par celles-ci. Il est important que des mesures concrètes soient mises en place contre ces violences.
Le Conseil regrette également l’absence d’une maison de l’autisme en Wallonie, pourtant présente dans les autres régions.
Enfin, il appelle à davantage de mesures qui permettent l’inclusion des enfants en situation de handicap dans la société, ainsi que des mesures prises pour favoriser la vie affective et sexuelle dans les lieux de vie collectifs.
Accessibilité
Le Conseil insiste sur la nécessité d’aller plus loin que la directive de l’European Accessibility Act en termes d’accessibilité, encore trop restrictive.
Le Conseil demande que des actions soient menées afin que la reconnaissance et le subventionnement des centres d’expertise en matière d’accessibilité soient établis.
Par ailleurs, le Conseil rappelle que la notion d’accessibilité n’est pas restrictive à celle de mobilité réduite (PMR). Tous les types de handicap doivent entrer en considération lors de l’élaboration d’un projet visant à une meilleure accessibilité.
Situations de risque et situations d’urgence humanitaire
La crise COVID a démontré la nécessité d’établir un plan d’intervention sur base de différentes données, grâce à des coordinations fédérales, régionales, communales et de protections civiles, tout en balisant ce plan en termes de protection de données. Cela sous-entend également une interprétation large afin de rencontrer tous les besoins spécifiques.
En effet, les décisions qui ont été prises lors de la crise sanitaire au nom de la « protection » de la population fragilisée (personnes en situation de handicap, personnes âgées) ont eu des conséquences parfois désastreuses pour les personnes concernées et leur famille. Empêcher l’accès des familles dans les institutions et maisons de repos, par exemple, a eu comme conséquence l’isolement des personnes concernées. La réalisation d’un plan d’intervention est donc nécessaire.
Protection contre l’exploitation, la violence et la maltraitance
Le Conseil propose d’établir un cadastre, une mise en place d’un dispositif à propos de la qualité des services. Cela permettrait l’évaluation des violences, le suivi et l’accompagnement des victimes en toute transparence.
Autonomie, liberté, sécurité et intégrité personnelle
La désinstitutionalisation est un enjeu important, cependant le Conseil veut ramener le libre choix au cœur de la question. Le choix éclairé du lieu de vie doit être privilégié. Le choix des personnes en situation de handicap est à respecter mais il faut également s’assurer qu’elles aient bien reçu et compris tous les enjeux et qu’elles puissent être accompagnées dans leurs processus selon leurs choix.
Le Conseil veut rappeler aux politiques l’importance de définir clairement les objectifs en matière de désinstitutionalisation en prenant compte des enjeux et des réalités de terrain. Il ne suffit pas d’annoncer une meilleure diffusion des alternatives, compte tenu de la pauvreté de celles-ci. Or, le choix de son lieu de vie est une priorité à établir. Trop de personnes en situation de handicap vivent en effet dans des lieux collectifs par manque d’aides et de structures adaptées.
Ensuite, le Conseil insiste sur l’importance de la pérennisation de certaines mesures, concernant notamment :
- Les jeunes en situation complexe : poursuite des collaborations avec le secteur de la santé mentale et de l’aide à la jeunesse en vue du développement d’une offre concertée, transversale.
- Les adultes en situation complexe : poursuite des collaborations avec les secteurs concernés afin de développer une offre spécialisée.
D’autres offres et mesures doivent être mises en place à propos de divers aspects. Le Conseil relève ainsi plusieurs points primordiaux :
- Il est important de développer une offre coordonnée, sans rupture de parcours, pour les personnes autistes. Les solutions apportées pour les personnes autistes, dont le nombre (de diagnostic) est en augmentation, ne sont pour l’instant pas suffisantes. L’offre coordonnée doit ainsi être réalisée en matière d’accueil, d’hébergement, de revalidation, de répit, d’enseignement…. Par ailleurs, il est essentiel de développer la formation des (futurs) professionnels (médecins, éducateurs, assistants sociaux, psychologues, …) ainsi que de l’entourage sur les troubles du spectre de l’autisme.
- Il y a un manque de mesures concrètes qui entourent les aidants et jeunes aidants proches.
- Le vieillissement des personnes en situation de handicap et les enjeux qui en découlent est une problématique importante pour laquelle des mesures concrètes doivent être prises rapidement.
Mobilité
Le Conseil demande la simplification administrative ainsi qu’une harmonisation interfédérale dans l’accès aux droits et services alternatifs. Il rappelle également que l’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap est limité à cause d’une mobilité inadaptée.
La mobilité est un enjeu essentiel pour favoriser l’autonomie. Ainsi, des formations théoriques existent au niveau de l’accès au permis théorique, mais n’existent pas au niveau du permis pratique. Le Conseil tient également à rappeler les difficultés que peuvent rencontrer les personnes en situation de handicap suite au développement de la micromobilité (vélo, trottinettes, scooter). Les personnes aveugles et malvoyantes notamment en subissent tous les jours les conséquences.
Enfin, le Conseil demande la mise en place d’une information complète et d’une interopérabilité concernant les scans car, les règles relatives au stationnement gratuit, ou encore sur les chiens d’assistance.
Education
Le Conseil rappelle le droit à l’éducation pour tout enfant, peu importe son handicap. L’éducation joue un rôle fondamental dans l’inclusion et la place de la personne en situation de handicap dans la société. Le Conseil tient à souligner qu’aucune coopération n’existe entre les services d’accompagnement et les pôles territoriaux. Il est donc nécessaire de revaloriser ces services d’accompagnement.
L’inclusion de l’enfant en situation de handicap doit rester un choix. La proposition d’un enseignement spécialisé doit être maintenu.
Santé
Le Conseil émet plusieurs propositions en ce qui concerne le secteur de la santé. Il est ainsi primordial de promouvoir l’inclusion dans les soins de santé : le protocole des soins infirmiers est à mettre en adéquation avec la réalité de vie des personnes en situation de handicap et leur droit à l’information, à une décision éclairée et à l’autonomie. Il est également nécessaire de prévoir la formation du personnel soignant notamment sur des problématiques d’aphasie, de troubles de compréhension, du comportement, … ainsi qu’une réponse adaptée aux besoins spécifiques (langue des signes, signalisation adaptée, FALC, …)
Le Conseil émet les propositions suivantes :
- Permettre une reconnaissance financière du temps de préparation des consultations aux besoins spécifiques des personnes en situation de handicap. Actuellement, le prestataire est rémunéré uniquement à l’acte. Il faudrait rémunérer les consultations de préparation par un mécanisme de « consultations blanches »
- Un suivi en CRF des enfants autistes exclus de l’enseignement pour cause de trouble excessif du comportement est une solution idéale pour permettre à ces enfants de gagner en autonomie en vue d’une ré-inclusion en milieu scolaire. Cette solution est à privilégier par rapport à une prise en charge en institution ou en hôpital psychiatrique.
- La mise en place et financement au sein des hôpitaux d’une équipe chargée spécifiquement de l’accompagnement des personnes en situation de handicap, de l’accueil jusqu’à la consultation ou l’hospitalisation, afin de répondre à ses besoins spécifiques.
- Former les professionnels de la santé à la connaissance des différents types de handicap dans la formation initiale et continue, et ce y compris les handicaps invisibles, psychiques, mental et sensoriel). Cela permet d’éviter les stéréotypes, les préjugés et la dévalorisation ainsi que d’adopter une posture adéquate avec la personne en situation de handicap mais aussi avec l’aidant proche.
- Considérer la personne en situation de handicap dans l’élaboration des plans d’urgences, des soins de crise (hôpitaux).
Travail et emploi
L’accès à l’emploi est un enjeu primordial pour l’insertion des personnes en situation de handicap, et cela doit être une priorité pour les politiques. Cependant, le morcellement des compétences pose le plus de problème à propos de cette thématique. Une coordination est donc ici plus qu’essentielle.
Le maintien à l’emploi est aussi une priorité. La formation des travailleurs en situation de handicap doit pouvoir être prise en compte, notamment financièrement. Trop peu de formations qualifiantes sont proposées aux jeunes adultes dans l’aide à l’emploi.
Il est essentiel de veiller à une collaboration accrue entre les différents services dans le cadre d’une réinsertion réussie (AVIQ, FOREM, mutuelles, médecine du travail, INAMI). La communication des services proposés par ces opérateurs va de pair avec cet objectif. De plus, le rôle d’exemplarité du secteur public en matière de respect des législations (quota) doit pouvoir être assuré.
Le Conseil propose ensuite qu’une réflexion soit effectuée pour que le secteur privé soit obligé d’entamer des démarches positives en faveur de l’emploi des personnes en situation de handicap (maintien à l’emploi, recrutement, sous-traitance avec les ETA…)
Le Conseil demande également un renforcement de la communication entre l’entreprise et la personne en situation de handicap y travaillant.
Il est indispensable que l’importance du « Jobcoaching » pour l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le monde du travail et des moyens mis en pratique pour l’appuyer soit soulignée.
Dans le cas des autistes Asperger, aucune mesure spécifique concernant l’emploi n’est mise en place. Or, un accompagnement par un coach serait dans la plupart des cas suffisant pour leur permettre de décrocher un emploi.
Par ailleurs, le Conseil relève plusieurs aspects essentiels à la mise à l’emploi des personnes en situation de handicap, qui méritent une attention particulière :
- La simplification administrative, tant pour le candidat travailleur que pour les entreprises ou ETA qui souhaitent engager ;
- Le renforcement des services externes d’accompagnement ;
- La valorisation des compétences. Certaines personnes en situation de handicap n’ont aucun diplôme mais possèdent de nombreuses compétences professionnelles.
- La collaboration entre les administrations concernées par la politique d’emploi ;
- La mobilité et l’association avec des plans logement. En effet, les zonings ne sont pas ou peu desservis par les transports en commun, ce qui constitue un obstacle réel pour la mise à l’emploi des personnes en situation de handicap.
Le Conseil rappelle ensuite la situation des transfrontaliers : les personnes en situation de handicap domiciliés en France, par exemple, ne peuvent pas bénéficier des aides à l’emploi en Belgique.
Aucune analyse n’est disponible au sujet des différents mécanismes qui permettraient la création d’emploi réservés aux personnes en situation de handicap. Il est essentiel de rendre visible les résultats des politiques menées grâce à des études, afin de renforcer les éléments probants et de rectifier ce qui ne fonctionne pas. Dans la même optique, il est également nécessaire de réaliser une analyse sur la création d’emplois spécifiques dans une démarche d’actions positives.
Ensuite, le Conseil émet des réserves sur la question du transfert des CFISPA vers le SPW. Ces questionnements et réflexions sont repris en détails au sein de l’avis n°00007 du Conseil Consultatif Wallon des Personnes en Situation de Handicap, rendu lors de la séance du 23 mai 2023. Il est en effet primordial de veiller au transfert des compétences de l’AVIQ, qui possède une expertise dans le domaine du handicap, et de prévoir des formations complètes pour permettre un meilleur accompagnement et des réponses adaptées aux besoins individuels. Ensuite, les différentes administrations devront pouvoir assurer un partenariat structurel afin de maintenir l’échange d’informations et une collaboration optimale. La mobilité interrégionale présente aujourd’hui doit également pouvoir être maintenue malgré ce transfert.
Le transfert des CFISPA vers le SPW doit s’effectuer en prenant en compte les expériences récoltées en Flandre et à Bruxelles[1]. La personne en situation de handicap en recherche d’emploi ou de formation doit pouvoir être renseignée de la manière la plus adéquate possible. Il est important de veiller à ce que celles-ci, lorsqu’elles ont besoin d’un accompagnement plus long et personnalisé, ne soient pas mises sur le côté, perdues dans un programme devenu trop généraliste. De plus, le Conseil demande à se pencher sur la question du morcellement de l’administration. En effet, les centres de formation seront donc transférés vers le SPW. Cependant, les aides à l’emploi demeurent une compétence de l’AVIQ. Le public doit donc se tourner vers des administrations différentes suivant son besoin spécifique, et doit répéter son parcours de vie à plusieurs reprises afin d’obtenir l’aide la plus adéquate possible. Il est urgent que les démarches administratives soient simplifiées, dans l’intérêt du public.
Enfin, le Conseil demande qu’une réflexion soit menée au sujet des travailleurs vieillissants et de l’accompagnement en fin de carrière. La réflexion doit être apportée concernant l’âge de la pension de ces travailleurs.
Participation, sensibilisation et accès à l’information
Le Conseil rappelle que l’accès à l’information est essentiel pour la participation et l’autonomie de la personne en situation de handicap.
Il tient par ailleurs à souligner l’importance du questionnement sur la fracture numérique accentuée par la digitalisation accrue et la suppression de proximité des institutions destinées au public (agences bancaires, Bpost…). Tout développement digital ne pourra jamais remplacer l’humain.
Le Conseil émet plusieurs propositions concernant cette thématique d’accès à l’information :
- Demande qu’un point central d’informations soit établi ;
- Demande de reconnaissance et de soutien des associations de personnes en situation de handicap ;
- Demande du développement de l’audiodescription ;
- Mise en place de possibilités d’interprétation (au sens large du terme) en milieu social ainsi que des services de premières lignes accessibles ;
- Développer des actions concernant l’accès au vote ou la participation à la vie politique, peu présentes actuellement.
Participation à la vie culturelle, aux loisirs et aux sports
De nombreuses possibilités existent en matière de transports (adaptés ou non) pour l’accès aux soins (hôpitaux par exemple) mais il en existe peu pour faciliter l’accès à la vie citoyenne, aux activités culturelles, sportives et de loisirs. Il faudrait pouvoir analyser les conditions pour étendre ces mesures.
Statistiques et collecte des données
Le Conseil rappelle que la Belgique a été condamnée par le Comité européen des droits sociaux en 2013, entre autres pour le manque de données statistiques quantitatives et qualitatives au sujet des besoins des personnes handicapées de grande dépendance. Cette thématique de statistique et collecte de données est un enjeu majeur, et les données doivent en effet provenir de tous les niveaux de pouvoir. Il est par ailleurs important de faire coller la récolte de données à la définition que donne l’ONU des personnes en situation de handicap.
[1] En Flandre : transfert de la politique de l’emploi et de la formation des personnes en situation de handicap vers la VDAB (équivalent du FOREM).
A Bruxelles : transfert des centres de formation vers Bruxelles-Formation.